28/03/2015

SANAA MON AMOUR

 




Après Léon, c'est l'ordinateur qui m'a lâchée.

Ma nouvelle tablette ressemble à celle sur laquelle Léon écrivait sur la toile cirée de la cuisine. En beaucoup plus propre et sans les miettes de pain collées au clavier qui ne l'ont jamais dérangé.

Elle réagit beaucoup plus vite aussi. Le vieil ordinateur mettait des plombes à délivrer l'actualité. Alors pour regarder des photos ou écouter de la musique, il fallait l'allumer le matin en espérant qu'il le soit toujours le soir en rentrant du travail. Les dernières semaines, l'écran ne montrait plus que de jolies rayures de couleur. Après avoir tenté en vain plusieurs restaurations, il a fallu se rendre à l'évidence et me résoudre à le reléguer dans le placard sous le lavabo avec les produits ménagers et la multitude de garanties d'un autre temps dont j'ignore totalement à quels appareils elles se rapportent.

Avant qu'il ne rende totalement l'âme, j'avais toujours pour me tenir compagnie la radio (pardon aux camarades grévistes mais je me suis retranchée sur RFI) et les journaux papier (longue vie à Politis et au Canard Enchaîné). Curieusement, cela demande toutefois plus de concentration et il est surtout très difficile de ne pouvoir partager ce goût amer qui persiste dans votre bouche en écoutant les nouvelles du monde quand vous n'avez pas de camarades syndiqués pour en papoter au travail ou un Léon le soir pour vous en faire de savoureuses analyses.

Aujourd'hui face à ma nouvelle tablette connectée au monde, j'en ai même oublié de me laver les dents.

Je pense à vous dans les montagnes de Sanaa, femmes oubliées du monde, à cette petite fille qui gardait une vache et son veau sur un chemin envahi par les nuages, aux enfants et aux hommes de ce village où coulait un si petit ruisseau. Aux danseurs célébrant un mariage entre musique et tirs. A ceux couchés sur la place principale près du marché. A la femme du boulanger dont la photo avec son bébé reste bien cachée, promesse de ne pas la montrer à son entourage … A Mohamed qui devait se marier avec une femme parce qu'elle plaisait à sa mère. Notre discussion qui a duré toute la nuit aux deux extrémités de la tente. Tu avais tant de questions à propos des femmes et je n'avais aucune réponse. Yemen mon amour

Je pense à ces deux femmes en haut de la ruelle à Homs. Visages découverts l'espace d'un instant, se tenir les mains, se toucher et tout se raconter avec la profondeur d'un regard. La photo de tes deux fils que tu voulais que je prenne pour qu'ils aillent vers ce que tu leur souhaitais de meilleur. Toi, le jeune étudiant qui a arrêté ma course triste quand je devais vous quitter et dont les nouvelles se sont tues depuis les bombardements.

Je pense à cette fête de fiançailles dans un village kurde en bas du krak des chevaliers. Cette ronde avec les hommes qui n'en finissaient pas et les femmes qui observaient au milieu des rires avant de venir nous chercher. Syrie mon amour.

Je pense à cette ronde avec ces petites filles en Iran au milieu des montagnes avant de descendre l'éboulement et de traverser la rivière grâce aux hommes du village d'en haut. A cette vieille femme qui m'a regardée avec tant de tendresse que le souvenir des larmes est resté intact. Je pense à Hamid, véritable père poule et boule de tendresse. A cette famille arménienne … Aux étudiantes de Téhéran. A ces jeunes filles qui allaient à la synagogue. A ce peintre révolté dont je conserve précieusement l'affiche. Iran mon amour.

Je pense aux balayeuses de rue de Sarmarcande … les petits polaroids valaient largement tous les musées du monde. Ouzbékistan mon amour.


Vous tous qui m'avaient tellement donné, entre les guerres pour protéger l'accès au pétrole et les coalitions d'enfumage pour monter la sauce en guerre de religions, aurez-vous seulement une petite chance d'en sortir vivants !!!


Paulette


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